IronAnne - chapô
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IronAnne

Une crème glacé, l’érotisation, le retard et la gorge pécheresse

 Ce texte est écrit par une personne présentant entre autre une dyslexique et dysorthographiques. La forte charge émotionnelle de cette écriture aggrave l’expression des troubles dys* de ce fait orthographe, grammaire et syntaxe sont affectées par l’exercice testimonial ici partagé.

Il est volontaire de ne pas faire corriger les textes. Les troubles dys sont des handicaps. Et oui, parfois … c’est difficiles à lire. Mais cela n’invalide pas le propos. Merci de (re)lire la notice dys*.

Nous sommes en 1996, en juin. Il fait chaud. C’est un jour comme un autre, pris dans la routine : aller en cours, rentrer à l’heure, avoir peur. C’est ainsi.

Mon année scolaire se déroule plus ou moins bien. J’aurais mon brevet des collèges, si je réussi la dictée. C’est à ça que je pense et aussi fait que je trouve Luc mignon et que lui ne me voit pas. C’est étonnant comme les pensées qui prennent de la place ne reflétais pas la réalité de mon quotidien. Ce qui prend de la place m’aide à fuir. En réalité, j’avais peur de l’attitude de mon père en rentrant, j’avais peur de milles choses. Mais je m’interdisais de vivre ses préoccupations. Pour survivre, je m’interdisais même de vivre la planification des ténèbres qui me collait au corps.

Je prenais un bus depuis mon collège à Chenôve jusqu’au centre de Dijon. Puis je prenais un autre en direction d’Ahuy. Il y avait toujours un petit temps entre ces deux bus. C’était une époque béni, il y avait dans mon collège des jeunes qui prenaient le même bus. Ils étaient au foyer départemental de l’enfance d’Ahuy. Il y avait dans ce groupe un ado qui étais plus âgé que moi, il était en 3ième et moi aussi, mais lui a refait son année (système scolaire français). Jérôme, grand, massif qui dégageait un potentiel agressif, les cheveux blonds et bouclés.

Il faisait chaud ce jour-là. Entre les bus, je suis allée prendre une glace et mon pote aussi. Nous n’étions que tous les deux pour une raison qui reste flou. Nous montons dans le bus et nous allons au fond, comme à chaque fois. On discute. Les discussions sont légères, sans intérêt particulier. En vrai, je n’ai jamais de discussion intéressante avec quelqu’un à cette époque. Je cherche de la profondeur dans la relation et … je ne suis pas en adéquation avec ceux de mon âge. Il frime. Je ne sais pas ce qu’il veut de moi dans la relation. Mais je sais que d’ici quelques jours, nous ne ferons plus le trajet ensemble. Il va poursuivre ses études je ne sais pas où. Finalement ce qui s’est passé ce jour-là a mis une fin de non-recevoir à notre relation. Je mange ma glace et je ris. Je vois sa jambe qui s’agite rapidement. Je n’y prête pas plus attention que ça. Enfin si, mais je tente d’ignorer ce que je vois. Après un long moment à me regarder manger cette glace, la main dans sa poche, sa jambe qui accélère ses mouvements… Il me demande d’arrêter de déguster ma glace ainsi. Il me dit que c’est inapproprié, excitant et pas acceptable. Je ne comprends pas. Je mange ma glace c’est tout. Je sais aujourd’hui qu’effectivement ma gestualité évoqué surement la fellation. Mais ce n’était pas mon intention. Je me suis senti sale et Sali. Je me suis senti perverse, vicieuse. J’étais pris dans ce moment léger avant de rentrer vers la gravité. Et d’un coup, j’étais salle partout. Mon vice se voyait au grand jour. Je n’étais que ça. J’ai souffert de cette remarque.  Une éternité me sépare de ses mots, mais j’ai toujours peur de manger une glace à la vanille en cornet devant un homme. J’ai toujours peur d’être existante dans ma dégustation. En vérité, j’ai peur de manger devant des gens. Et cela reste une glace que j’aime toujours manger. Il m’a fait comprendre que ce n’était pas ok, pas à sa place dans notre relation que je l’excite. Jamais il ne s’est posé la question de mon intention. Quand bien même ma façon de manger érotisait cette glace, cela ne change rien. Je portais au monde la réalité de ma prison familiale. Le trajet se termine. Je demande l’arrêt. Adieu Jérôme.

Mon bus arrive avec 5 min de retard devant l’immeuble où nous vivons.

Mon père faisait le pied de grue a la fenêtre de notre appartement. Je venais de vivre une blessure relationnelle profonde. Une de celle qui fait encore aujourd’hui que j’ai du mal à être amis avec des mecs. Ce n’est pas la seul raison loin de là mais… elle est là. Bien sûr que c’est à lui que cela appartenait mais, je me sens toujours aussi salle qu’en 1995. En sortant du bus, un regard furtif vers la fenêtre vers le 2ième étage et je sais déjà que l’enfer est là. Pourtant, mon père est une ombre à la fenêtre. Il est torse nu. Il a les bras croisé. Je suis déjà terrorisé. « Je n’ai rien fait », cette phrase tourne en rond. Je sens une goutte d’urine qui s’enfuit de terreur de ma vessie. Je ne veux pas avancer sur la route. Je ne veux pas traverser. Je sens mon corps qui me tire en arrière à mesure que j’avance. Il s’agit de deux forces qui s’opposent. Si mon corps avance, ma conscience, elle m’attire au loin. Il faut fuir, c’est ce que me disent mes tripes. Il ne faut pas entrer dans cet immeuble. Il ne faut pas prendre l’assesseur. Rien. Je prie pour qu’une astéroïde, un avion, un hélicoptère, n’importe quoi arrive et change le scénario.

Je suis dans le hall de l’immeuble. Je cherche mes clefs dans mon sac à dos. Mais mon père ouvre la porte depuis notre appartement et il donne un ordre. Je ne l’entends pas, je ne le comprends pas. Je le ressens dans mon corps. Je sens au travers de l’interphone la rage, la haine, la violence. Je suis terrifiée. Je m’extrais de plus en plus de moi-même. Ne pas vivre mon corps, ne pas ressentir, ne pas respirer. Ma tête tourne, et je perds pied avec le réel. Tout devient trouble. Je passe en mode automatique. Il m’a envoyé l’ascenseur. Je dois être au plus vite en haut. Il sait que je sais que je vais y passer. Il jubile. Il le sait, je le sens même avec ses étages qui nous séparent. Il fait ressentir à tout l’immeuble sa pulsation de rage. Elle prend toute la place. Elle envahi chaque molécule. J’arrive devant l’ascenseur, je rentre. J’appuie sur le bouton. Direction le 2ième étage. Et je suis dans cette boite métallique. Mon seul espoir est une panne ou que le mécanisme fasse que l’ascenseur s’écrase au sous-sol. Je ne veux pas y aller. La porte s’ouvre dans un couloir sombre mais la porte de notre appartement est ouverte. Je suis terrorisé par cette lumière dans l’obscurité qui n’est que du côté de l’enfer. J’avance fébrile, ailleurs. Mon père est là debout. Il est dans son caleçon blanc avec des ligne verticale bleu ciel et délavé. Il me dégoute. Son corps est si répugnant. Je dois lui tourner le dos pour fermer la porte. Je le fais avec une résignation. Mes épaules s’abaissent. Je me soumets à ce qui va se passer, ma tête s’abaisse en même temps. Je me retourne mais je ne le regarde pas. J’avance de 5 pas en regardant le sol. Il pue la rage. Son souffle me fait penser à un taureau sur le point de charger. Comment des poumons peuvent-ils faire autant de bruit ? Je dépose mon sac sur le sol. Je suis soumise à son désir, à son bon vouloir. Je suis objet. Je n’existe plus. Il hurle sur mes 5 min de retard.

Je suis sale. Je suis une vicieuse. Je suis une salope. Je suis une pute. Il a raison. Je suis tout ça, sinon Jérôme n’aurais pas dit tout ce qu’il m’a dit dans le bus. Je suis tout ce que mon père hurle. Mais je sens que sa rage est disproportionnée. Je ne sais pas, encore aujourd’hui ce qui s’est passé. Il était furieux et j’étais son objet utilisable. Mais cette rage est rare, si rare que j’éprouve une peur inédite et mes jambes se mettent à le fuir mais la porte est close. Pour sortir de l’immeuble, il faut mes clés. Il me faut arriver à l’escalier qui fait sortie de secours et avoir une clef qui est au fonde de mon sac pour ouvrir la porte en bas. Bref, impossible. J’essaie de le fuir bêtement dans l’appartement. Je cours, encore et encore. Vers la cuisine. Je fais le tour de la table, gagner des secondes, trouver une solution. Je suis terrifié, je me pisse dessus en courant. Je ne sais pas ce qu’il a. il me traque. Et c’est ainsi qu’autour de la table de la cuisine, dans un mouvement, je glisse sur mon urine et mon corps percute le sol.

Il est animal et moi aussi. Il vocifère sur mon retard. Je ne saisis pas. J’étais dans le bon bus à la bonne heure. On a peut-être pris du retard ? Je suis sur le sol. J’ai mal au dos, mal au cul. Il est au-dessus de moi. Je ne comprends pas la temporalité, tout va trop vite. Avant même que je ne puisse ramper au sol… il met son pied sur ma gorge. Mon père fait plus de 120 kilo. Et je sens ce poids qui m’écrase. Ses yeux son exorbité de rage. Je sens l’oxygène qui me manque. Et là, une question se pose en moins de temps qu’il ne faut pour la penser : le laisser me tuer ou me débattre. Car mourir, c’est clairement ma seule façon d’échapper à tout ça. Mais le corps s’en fou des questions. Je me débats sans le comprendre. La configuration de la cuisine, de l’espace si étroit fait qu’en réalité il est au-dessus de mon bassin. Je prends appuis avec ma jambe gauche sur le meuble derrière mon père pour me repousser un peu, glisser, le déstabiliser. Ça ne marche pas vraiment. Ma jambe droite fini par se plier pour se redresser violemment dans ses couilles. Et je vise juste du premier coups. C’est fort, brutale, violant. Je lui fais mal. Il se plie en deux, son pied se décolle de ma gorge.

Le temps s’arrête. D’un coup, il n’y a plus rien dans l’air. Plus de violence, plus de vie, plus de lourdeur. Il n’y a plus rien. Le tas informe plié en deux, c’est mon père. Il a voulu me tuer. Il y était presque. Je suis vivante. Pourquoi je ne le laisse pas me tuer ? C’est quoi cette façon de s’accrocher à la vie ? Je suis sale physiquement, moralement. Je me redresse. Je m’assoie en boule au sol… Il ne remet pas sa rage en route. Il me laisse là et quitte la pièce en marchant difficilement. La nuit fini par tomber et je suis toujours là. Je me lève. Je prends de quoi nettoyer le sol de ma pisse. Je vais dans la salle de bain. Je croise mon père. Il fait comme si de rien été. Je mets mes vêtements à laver. Je prends une douche. Il vient dans celle-ci. Il me lave. Il pose sa main sur ma gorge. Il met une toute petite pression provocatrice pour me dire qu’il peu serrer et que je peux crever sous sa force.

Je sais, j’ai gagné un combat. Mais il est plus fort.

Il me laisse sous l’eau. Je reste figée, l’eau coulant sur moi.

Après un temps infini, je sors. Je me sèche. Je mets de l’arnica sur mon cou. Je vais dans ma chambre la serviette autour de mon corps. Je mets mon pyjama. Je vais au lit. Le monde est vide.

Je me dis que cela a dû faire du bruit. Pourquoi le voisin d’en dessous n’appelle pas la police ?

Je peux mourir, tout le monde s’en fou.

Le lendemain, je n’ai pas parlé à Jérôme. Je ne lui ai plus jamais parlé. J’ai mis un foulard pour aller à l’école pour cacher les traces sur ma gorge. Ma mère dira que je voulais cacher un sus son, car je suis une petite vicieuse. Elle n’a jamais regardé sous mon foulard.

Le monde est sale, le monde est moche. Mais j’ai l’impression d’être un cancer qui s’accroche à la vie.

Il a voulu me tuer, un pote ma sexualisé. Et moi je suis là, informe et inexistante. Je vis sans vivre. Pourquoi mon père a fait ça ce jour-là ?

A cause de Jérôme, j’ai une angoisse pour manger devant des gens. Et si j’excitais l’autre en mangeant ? On ne devrait pas penser ça. Mais moi, si. Encore aujourd’hui, cette peur est là.

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