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IronAnne

J’ai un an et demi, peut-être moins, fracture

 Ce texte est écrit par une personne présentant entre autre une dyslexique et dysorthographiques. La forte charge émotionnelle de cette écriture aggrave l’expression des troubles dys* de ce fait orthographe, grammaire et syntaxe sont affectées par l’exercice testimonial ici partagé.

Il est volontaire de ne pas faire corriger les textes. Les troubles dys sont des handicaps. Et oui, parfois … c’est difficiles à lire. Mais cela n’invalide pas le propos. Merci de (re)lire la notice dys*.

Il y a une affirmation dans les conversations courantes qui tend à dire que nous n’avons pas de souvenir en deçà de 3/4/5 ans (chiffres qui varient en fonction de la personne avec qui tu parles). C’est un fait communément admis. Soyons clair : c’est comme cela et pas autrement. Alors, si tu parles de souvenirs qui précèdes cette période, c’est souvent que tu l’as imaginé ou que c’est ta croyance. Bref, peu importe, c’est soumis à caution. Toutefois, il faut savoir que dans les études, on a recensé dans 1,1% des situations des souvenir avant 3 ans. Et on aurait tendance à tout oublier par refoulement ou manque de langage. Si la théorie du langage est vraie. Je suis interpelée car le langage se construit aussi avant la parole dans notre compréhension qu’on en fait[1] et à la fois, le langage autour de l’inceste n’existe pas. D’autre évoque la mémoire autobiographique [2]. Dans un article du Cairn, on peut lire que l’amnésie infantile est avant tout investit vers notre mémoire procédural et langagière et ces deux dernières prennent le dessus vis-à-vis de la mémoire autobiographique. Que c’est à partir de 2 ans que cela a lieux. Toutefois, l’étude ne se penche pas sur les traumatismes de viol, d’incestes et c’est affreusement plus complexe. Il est difficile de faire confirmer par un adulte les faits et la justice là remis en cause bien souvent.  Je crois qu’il y a une telle violence qu’elle fracture aussi les limites de ce que nous avons déjà saisi de la mémoire[3]. Je crois que la violence du geste joue un rôle. Dans mes études en psychomotricité, on a évoqué des degrés d’intégration et parfois cela ne peut pas passer les barrières parce qu’on n’a pas de capacité de symbolisation et que cela reste dans le corps. Mais, je crois que ce n’est pas si simple. Mon corps a conservé les traces et la répétition leur a donné un sens qui n’est pas le sens de l’agression mais du geste normal, normalisé.

J’ai commencé, je ne sais pas quand, à revenir en arrière. A retourner dans le passé pour ne pas le perdre. C’était un exercice que je faisais déjà en maternelle, comme un collier de perle. Me rappeler ce que j’avais fait pour comprendre ce que je faisais.  Je pense aussi le fait que j’ai toujours ces sensations coincées dans ma gorge, envahissante, parasitaire, tellement dans le présent alors que c’est du passé joue un rôle dans cette mémorisation. Je crois aussi que ce voyage dans les souvenirs était un voyage dans « ne pas perdre les traces ». C’est complexe à appréhender parce qu’il serait facile de croire qu’avec la dissociation tout se perd alors que tout est calfeutré dans une zone obscure de soi-même. Et qu’a chaque agression, j’ai été mise dans cette même zone obscure, enfermé dedans et cela sans fin de geste en geste.

Mes parents avaient acheté une commode blanche avec des liseré bleu foncé.  Je n’aimais pas être couchée dessus. Je me sens oppressé, en insécurité à ce moment-là. J’ai un an, peut-être un an et demi. Il y a quelque chose de l’ordre de l’angoisse, de la peur qui se joue. Il y a la sensation de froid avec coussin de change. Il y a mes yeux qui ne voit pas très clair. C’est mon père qui me change. Ma mère met un tissu doux et moelleux quand elle me change. Il y a aussi le manque de contact. Elle laisse la main sur moi, pas lui.  Il me laisse seul sur le coussin. Il n’a pas bien préparé les trucs. Il râle. Il s’énerve. Y a du caca dans ma couche. Il doit me nettoyer et ça l’énerve. Je me souviens du moment ou il décroche la couche avec force et agacement.

Il me nettoie en levant mes jambes. Ça me fait très mal. J’ai le sentiment que mes jambes se décrochent de mon bassin. Il me lave avec colère et brutalité. Les gestes sont vifs. Il me torche.

Il repose mes fesses et mes jambes. Il m’écarte l’entre jambe. Il utilise un lait de toilette pour enfant avec des coton. Il y a de la merde sur ma vulve. Il me nettoie cette zone. J’ai tout le poids de mes épaules qui me colle au tapis de change. J’ai du mal à respirer. Et il y a un temps où je tente de refermer mes jambes mais il m’en empêche. Le temps semble parti ailleurs. Je n’ai pas le droit de bouger. Je n’ai le droit de rien du tout. Il ne me remet pas de couche.

Et là, il est au-dessus de moi. Il me regarde. Je le regarde. Je me souviens être contente de le voir. Il a un grand sourire. Et j’ai une sensation de froid, de mal, de très froid en fait. C’est avec des mots d’adulte, du sens qui a pris du temps à se faire que je peux parler de ce qu’il a fait. Il y a eu cette première sensation de pénétration qui est devenu ritualisé entre lui et moi. Il m’a introduit son doigt en moi. Et il a regardé ce que cela m’a fait. Cette pénétration de son doigt dans mon vagin a été très violente. C’était avec son majeur. Souvent, dans le temps qui a suivi, il me montré son majeur pour me faire comprendre ce que j’allais vivre.

J’ai eu son doigt, son majeur en moi. J’ai trouvé ça « grand », pénétrant. C’était que quelques va et vient. Ça l’a fait sourire. Moi j’ai pleuré très fort, j’ai hurlé très fort. Mais nous étions seuls à la maison. Personne ne m’a entendu.  Je me souviens du soudain du geste, de la douleur transperçante. De l’onde interne qui me déchire. J’ai la sensation d’être coupée en 2, d’être déchiré au niveau de mon entre jambe. Et que mon corps est en 2 morceaux, disjoints. C’est quelque chose de l’ordre du morcellement qui à lieu.

J’ai fini par me figer. Ne plus rien dire, ne plus rien ressentir, ne plus rien… ne plus être. Il y a quelques choses de l’ordre de ne plus être. C’est le début. Ma déchirure corporelle se met en adéquation avec ma déchirure psychique. La sidération est ma seconde nature.

J’ai refait contact avec ce souvenir il y a un petit moment. J’ai remonté le fil en rebondissant d’un souvenir à l’autre.  J’ai nagé à contrecourant de mon histoire, de mon horreur. J’ai de nombreux souvenir de cette époque. J’ai d’ailleurs pu les confrontés aux photos qui allait dans le sens de mes souvenirs. Les motifs, les fleurs, les couleurs, les configurations de l’espace.  Ce n’était pas forcement une vu immense de la pièce mais un détail parfois.

J’ai sur ce souvenir le gout de la peur, un gout amer, métallique. C’est le gout de ma salive. Pourtant je ne peux vous dire « où » était la commode. Parce que j’étais petite, concentré sur l’immédiat de l’environnement. J’ai le souvenir de l’odeur du produit pour bébé. Les gens disent de ces produits qu’ils sentent le bébé, pour moi, ils sentent mon enfance et je n’aime pas.


[1] https://www.scienceshumaines.com/le-premier-souvenir-des-enfants_fr_5709.html
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Amn%C3%A9sie_infantile
[3] https://www.cairn.info/revue-devenir-2011-4-page-379.htm

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